Il y a deux cents ans, Sumbawa, une île située dans le groupe des petites îles de la Sonde dans l’archipel Indonésien, était secoué par une des plus fortes éruptions des temps modernes… Le Tambora, ce grand stratovolcan qui forme la péninsule de Sanggar, entrait en éruption, après une période de calme qui durait depuis le 8° siècle.
La caldeira du Gunung Tambora – photo de gauche : Bognairadek – photo de droite, 03.06.2009 par le satellite EO-1 de la Nasa - un clic pour agrandir
Cette éruption va décapiter le volcan : sa hauteur passe de 4.300 mètres avant le cataclysme à 2.851 mètres et former une caldeira d’un diamètre de 6 km., profonde de 1250 mètres. Qualifiée d’un index d’explosivité volcanique rare de 7, elle sera environ six fois plus puissante que celle du Pinatubo en 1991, ou quatre fois celle du Krakatoa en 1883. Considéré comme l’éruption la plus mortelle des 10.000 dernières années, elle aura des conséquences locales et mondiales sur le climat.
Avant d’en examiner les conséquences, voyons le déroulement de cette éruption hors du commun.
Le volcan ne s’est pas réveillé sans prévenir … l’activité commence par se manifester par des séismes ressentis, un an avant l’éruption, jusqu’en Australie (Self & al. 1989)
Le soir du 5 avril 1815, une courte éruption plinienne, accompagnée de détonations entendues jusqu’à Makassar, sur lîle de Sulawesi, et Batavia (aujourd’hui Jakarta) sur Java, dure deux heures. Elle propulse un panache de cendres à 33.000 mètres de hauteur. Le 6 avril, des explosions plus nombreuses sont enregistrées et des chutes de cendres rapportées sur Java-Est.
Après quelques jours de calme relatif, la seconde phase de l’éruption débute le 10 avril vers 19 heures … beaucoup plus puissante. Trois colonnes de feu s’élèvent et fusionnent vers 20-21 heures (trois évents qui fusionnent pour n’en former qu’un seul) puis c’est la montagne entière qui s’embrase ! Des ponces pleuvent, certaines atteignant jusqu’à 20 cm de diamètre, puis la cendre prend le relais. Cette phase plinienne paroxystique très énergétique va durer peu de temps, et produire une colonne éruptive de 30-43 km., selon les différentes sources. Vers 22-23 heures, des vents violents sont rapportés, pouvant coïncider avec l’effondrement de la colonne plinienne. Des coulées et des surges pyroclastiques se succèdent qui recouvrent la péninsule de Sanggar et détruisent le village de Tambora. Un tsunami de un à quatre mètres touche la plupart des îles indonésiennes.
Le 11 avril, de fortes explosions sont entendues à plus de 2.500 km. Les cendres tombent sur Java-Ouest et les Célèbes. Un second tsunami, plus faible, est perçu sur Madura, au nord de Java.
Les explosions cèssent le 15 avril, mais des nuages de cendres continuent à entourer le volcan jusqu’au 23 avril.
Isopaques des retombées de cendres du Tambora, couvrant le sud de Sulawesi, Bali, Lombok, l'est de Java et le sud de Bornéo. - The base map was taken from NASA picture and the isopach maps were traced from Oppenheimer (2003).
Stratigraphie des dépôts de l’éruption de 1815 du Tambora – doc.Sigurdsson « Lost Kingdom of Tambora » / Armstrong Sompotan.
Pendant 2 à 3 jours l’obscurité est totale dans un rayon de 600 km. accompagnée, sous le nuage troposphérique, d’une poche d’air chaud au début, puis extrêmement froid , comme rapporté de Banjuwangi, à 400 km. du volcan. Ces températures froides furent enregistrées en Inde, deux semaines plus tard.
On estime le volume éjecté à 160 km³ de matériaux pyroclastiques trachy-andésitiques. Pour mieux se rendre compte du volume, les cendres relevés à Makassar /Sulawesi avait une densité de 636 kg/m². Près du volcan, l’épaisseur des dépôts atteint une trentaine de mètres.
Les cendres recouvrent d’au moins 1 cm. une superficie de 500.000 km², et leur extension est fonction des vents de mousson souflant alors d’est en ouest ( 550 km. Vers l’ouest, 400 vers e nord et 100 vers l’est).
En mer, des radeaux de ponces et cendres agglomérées, atteignent jusqu’à 1 m. d’épaisseur sur plusieurs kilomètres de large et vont gêner durant plusieurs années la navigation.
Cendres et gaz ont atteint la stratosphère : les particules de cendres les plus grossières commencent à retomber dans un délai de 1 à 2 semaines, mais les plus fines resteront plusieurs mois à plusieurs années dans l’atmosphère à une altitude comprise entre 10 et 30 km.
Le nombre de victimes dépend des sources : outre 10.000 victime directes des nuées ardentes, on estime que sur Sumbawa, 38.000 personnes sont mortes de privation et 10.000 sur Lombok.(Zollinger 1855) ; une autre source donne 48.000 et 44.000 morts respectivement pour Sumbawa et Lombok (Petreschevsky 1949) . Des victimes additionnelles se comptent sur Bali et Java-est à cause de la famine. Oppenheimer modifie le nombre total de victimes en 2003 : au moins 71.000 !
Portrait de Sir Thomas Stamford et couverture de son livre "The history of Java" - un clic pour ouvrir
Un récit historique :
Seulement une bonne année après l’éruption, un rapport détaillé de la catastrophe est publié par Sir Thomas Stamford, naturaliste et gouverneur anglais de l’Indonésie, dans son « History of Java » (1817). Il sera incorporé aux « Principles of Geology » de Lyell en 1850.
“Island of Sumbawa, 1815. – In April, 1815, one of the most frightful eruptions recorded in history occurred in the province of Tomboro, in the island of Sumbawa, about 200 miles from the eastern extremity of Java.
In the April of the year preceding the volcano had been observed in a state of considerable activity, ashes having fallen upon the decks of vessels which sailed past the coast. The eruption of 1815 began on the 5th of April, but was most violent on the 11th and 12th, and did not entirely cease till July.
The sound of the explosions was heard in Sumatra, at the distance of 970 geographical miles in a direct line; and at Ternate, in an opposite direction, at the distance of 720 miles. Out of a population of 12,000, in the province of Tomboro, only twenty-six individuals survived.
Violent whirlwinds carried up men, horses, cattle, and whatever else came within their influence, into the air; tore up the largest trees by the roots, and covered the whole sea with floating timber. Great tracts of land were covered by lava, several streams of which, issuing from the crater of the Tomboro mountain, reached the sea.
So heavy was the fall of ashes, that they broke into the Resident’s house at Bima, forty miles east of the volcano, and rendered it, as well as many other dwellings in the town, uninhabitable. On the side of Java the ashes were carried to the distance of 300 miles, and 217 towards Celebes, in sufficient quantity to darken the air. The floating cinders to the westward of Sumatra formed, on the 12th of April, a mass two feet thick, and several miles in extent, through which ships with difficulty forced their way.
The darkness occasioned in the daytime by the ashes in Java was so profound, that nothing equal to it was ever witnessed in the darkest night. Although this volcanic dust when it fell was an impalpable powder, it was of considerable weight when compressed, a pint of it weighing twelve ounces and three quarters.
“Some of the finest particles,” says Mr. Crawfurd, “were transported to the islands of Amboyna and Banda, which last is about 800 miles east from the site of the volcano, although the south-east monsoon was then at its height.” They must have been projected, therefore, into the upper regions of the atmosphere, where a counter current prevailed.
Along the sea-coast of Sumbawa, and the adjacent isles, the sea rose suddenly to the height of from two to twelve feet, a great wave rushing up the estuaries, and then suddenly subsiding. Although the wind at Bima was still during the whole time, the sea rolled in upon the shore, and filled the lower parts of the houses with water a foot deep. Every prow and boat was forced from the anchorage, and driven on shore.
The town called Tomboro, on the west side of Sumbawa, was overflowed by the sea, which encroached upon the shore so that the water remained permanently eighteen feet deep in places where there was land before. Here we may observe, that the amount of subsidence of land was apparent, in spite of the ashes, which would naturally have caused the limits of the coast to be extended.
The area over which tremulous noises and other volcanic effects extended, was 1000 English miles in circumference, including the whole of the Molucca Islands, Java, a considerable portion of Celebes, Sumatra, and Borneo. In the island of Amboyna, in the same month and year, the ground opened, threw out water, and then closed again.
In conclusion, I may remind the reader, that but for the accidental presence of Sir Stamford Raffles, then governor of Java, we should scarcely have heard in Europe of this tremendous catastrophe. He required all the residents in the various districts under his authority to send in a statement of the circumstances which occurred within their own knowledge; but, valuable as were their communications, they are often calculated to excite rather than to satisfy the curiosity of the geologist. They mention, that similar effects, though in a less degree, had, about seven years before, accompanied an eruption of Carang Assam, a volcano in the island of Bali, west of Sumatra; but no particulars of that great catastrophe are recorded.“
Sources :
- Global Volcanism Program – Tambora
- Scientific American - April 10, 1815: The Eruption that Shook the World
- Eruption blog / Eric Klemetti : 194 years since the great Tambora eruption
- "Plinian and co-ignimbrite tephra fall from the 1815 eruption of Tambora volcano". Bulletin of Volcanology 51 / Sigurdsson, H.; Carey, S. (1983)
- Self, S. et al., 1984, Volcanological study of the great Tambora eruption of 1815,Geology; v. 12, no. 11, p. 659-663
- World Drizzles - "The History of Java" –Thomas Stamford Raffles