L’importance des gaz magmatiques dépasse de loin leur rôle dans les éruptions volcaniques, dont ils sont le "moteur ".
L’atmosphère, l’hydrosphère et la biosphère, soit l’entièreté de la vie organique de notre planète, trouvent leur origine dans le dégazage des 4,6 milliards d’années passées.
Les volcans émettent tant avant, que pendant et après leurs éruptions de grandes quantités de gaz, répartis pour part en
émissions au départ du cratère, pour une autre part par dégazage diffus par des fractures, sous forme de fumerolles, ou par émanation à partir du sol. Ces
émissions « indirectes » sont difficilement quantifiables, mais estimées d’une importance similaire aux émanations directes.
Nicaragua - émissions gazeuses directes du cratère du Masaya, bleutées signe de leur charge en dioxyde de soufre, ici
sublimées par le contre-jour et la lumière de fin d'après-midi - © Bernard Duyck
Iles Eoliennes - Vulcano - émission "indirectes" sous forme de fumerolles sur les rives du cratère de La Fossa
- © Bernard
Duyck
Composition chimique et caractéristiques des gaz volcaniques :
Les gaz volcaniques résultent de la combinaison moléculaire d’un petit nombre d’éléments majeurs avec des gaz rares et des
composants métalliques ; on relève pour les éléments : hydrogène, carbone, oxygène, soufre, fluor, chlore, azote.
Composition moyenne des gaz volcaniques - doc. Guide des
volcans / Rosi & al.
Les gaz sont ainsi constitués : principalement, entre 70 et 99%, d’eau - H2O, puis en quantités variables
décroissantes, dioxyde de carbone - CO2, dioxyde de soufre - SO2, hydrogène sulfuré - H2S, monoxyde de carbone - CO, méthane - CH4, acide chlorhydrique
- HCl, acide fluorhydrique - HF, hydrogène - H2, oxygène - O2, soufre - S2, azote - N2, sulfure de carbone - CS2, anhydride sulfureux -
SO3, ammonium, bore, brome, halogénures, sels métalliques et terres rares.
Un ordres de grandeur : le Mérapi libère chaque jour par son cratère sommital 3.000 tonnes de CO2, 400 tonnes
de SO2, 250 tonnes de HCl, 50 tonnes d’HF ; El Chichon a libéré 10 millions de tonnes de SO2 lors de l’éruption de 1982. L’Etna produit chaque jour environ 35.000 +/-
7.000 tonnes de CO2 par son panache sommital, valeur qui peut être doublée si on considère le dégazage permanent diffus par les flancs de l’édifice. (in Volcanologie de
J-M.Bardintzeff)
Etna * dégazage en CO2 et SO2 - le dégazage en SO2
est limité à l'actuel édifice volcanique, tandis que celui du CO2 concerne aussi les flancs du volcan et ses alentours. - doc. in Volcanism de H-U.Schmincke.
Les flux émis par l’ensemble des volcans aériens du monde sont estimés à 34+/- 24 millions de tonnes de CO2/an en
dégazage passif , et 31+/-22 millions de tonnes de CO2/an lors des éruptions (Williams 1992). Les quantités de SO2 libérées par an sont de 4 millions de tonnes, dont une
partie (0,5-1 Mtonnes) atteint la stratosphère (sur base de données satellites et carottages sur les glaces du Groenland).
La température des gaz émis indique leur provenance : les gaz fusant à haute température ont un caractère
magmatique ; les températures atteignent 900°C au Mérapi, 1.130°C à l’Erta Ale, à Vulcano, les fumerolles de La Fossa oscillent entre 100 et 675°C.
Les gaz à température plus basse ont une origine superficielle par recyclage. Ainsi le soufre est émis sous forme de
SO2 à haute température et d’H2S à basse température.
Si l’on retrouve toujours ces mêmes gaz sur tous les volcans du monde, leurs proportions varient beaucoup en fonction du type
d’éruption, de la composition du magma, de la température et du lieu d’émission …
Analyse des gaz volcaniques :
Cette analyse, outre les dangers inhérents à la prise d’échantillons, pose des problèmes techniques (température des gaz à la
sortie, fragilité du matériel de prélèvement, risque de modification des phases gazeuses au moment du prélèvement …)
Prélèvements de gaz sur le
terrain - doc. USGS
Les analyses chimiques des gaz peuvent servir au niveau prévisionnel ; elles constituent parfois la seule approche en
cours de phase éruptive, avant l’émission par le volcan d’autres substances liquides ou solides. Des techniques récentes permettent de doser le panache tout en restant éloigné de l’évent.
Scéance de mesures COSPEC réalisée par une équipe du CVO/USGS à Sugar bowl dans le
cratère du Mont St Helens. - doc. USGS
Le COSPEC – Correlation Spectrometer – permet de mesurer les taux de SO2 ; la technique est basée sur l’absorption de certaines longueurs d’onde dans l’ultra-violet par les gaz soufrés.
Cette technique peut être utilisée au sol, au départ d’un tripode ou d’une voiture, mais les mesures hautement qualitative
sont obtenues par le Cospec embarqué à bord d’avion ou d’hélicoptère, qui peuvent idéalement se placer sous le panache, ou à angle droit par rapport à la direction de déplacement du panache
volcanique, et mesurer la vitesse des vents au site de mesure SO2.
Le senseur OMI – Ozone Monitoring Instrument – embarqué à bord de satellites permet de
mesurer durant la journée les taux de SO2, grâce à une observation dans l’ultraviolet avec une haute résolution spectrale et une bonne résolution spatiale.
L’analyse des taux de CO2 se fait grâce à l’analyseur
LI-COR , paramétré sur l’infra-rouge et des mesures aériennes multiples au travers de la section entière du panache.
Un autre type de mesure, le FTIR – Fourier Transform InfraRed spectrometer system –
échantillonne simultanément différents gaz du panache, grâce à des systèmes axiaux ouverts ou fermés.
La mesure du ratio d’émission de SO2 est utilisé pour connaître le volume de magma dégazant et celui de la
recharge magmatique. Les rapports entre S/C – SO2/CO2 – S-Cl augmentent juste avant l’éruption, alors que le rapport He/CO2 décroît. Les distributions du
carbone13 entre le CO2 et le méthane – CH4, et celui du soufre34 entre H2S et SO2 jouent quant à eux le rôle d’indicateurs de
température.
Les mesures de dioxyde de soufre et de dioxyde de carbone sont rapportées en « tonnes par jour », bien que ces deux
gaz soient mesurés par des méthodes différentes.
Autres traces laissées par les gaz volcaniques :
Les gaz laissent aussi des dépôts solides, appelés « sublimés », très variés en composition et aspect. Par exemple,
à Vulcano, le soufre natif coexiste avec l’alun ( sulfate d’aluminium et potassium), l’halite, le gypse, le réalgar, la pyrite, le salmiac (NH4Cl).
Iles Eoliennes - cratère La Fossa de Vulcano - dépôts orangés de réalgar auprès d'évents fumerolliens
- © Bernard Duyck
Autour des sources chaudes, selon leur connotation calcaire ou siliceuse, de
délicates dentelles de carbonate calcique ou de geyserite (silice amorphe) se déposent, témoins les formations du Yellowstone, du Dallol ou de North Island en Nouvelle-Zélande.
Ethiopie - Afar - Dallol : vasques d'acide ourlées de marjelles colorées par le soufre et
les oxydes minéraux - ©
Bernard Duyck
Fumerolles, geysers et mofettes sont autant de témoins, chauds ou froids, succédant à l’activité volcanique proprement
dite.
Effets négatifs des gaz volcaniques:
1. Effets sur l'environnement et le climat :
Pluies acides, VOG et Laze :
Les nuages consécutivement aux éruptions volcaniques contiennent des gouttelettes d'eau contenant des gaz volcaniques en
solution. Ces gouttes peuvent tomber sur terre sous forme de "pluies acides".
Outre l'atteinte générée sur la végétation et la pollution des eaux, ces pluies acides corrodent les câbles, les voitures,
les équipements agricoles, jusqu'aux systèmes de distribution d'eau potable.
Les effets aériens d'une éruption volcanique - doc.
USGS.
Le VOG, par analogie au FOG, est un brouillard composé d'aérosols sulfatés (petites
particules et micro-gouttes), d'acide sulfurique et autres sulfates.
Hawaii - fort dégazage au cratère du Pu'u'O'o - photo HVO/USGS 21.06.2010
Il est particulièrement remarqué sur Hawaii où les émanations volcaniques de
SO2 des cratères et des zones de rift sont fortes; cette pollution volcanique, née de l'interaction entre le dioxyde de soufre, l'oxygène et l'eau sous l'effet de la lumière solaire,
peut stagner sur l'île, si les vents ne la dispersent pas, et créer de nombreux inconvénients aux êtres vivants et à la nature.
Hawaii - Kilauea - nuages causés par les entrées de lave en mer dans le
delta du Puhi-o-Kalaikiwi. - photo aérienne HVO/USGS.
Autre phénomène du aux volcans, le production de nuages produits par la lave
entrant dans l'océan; une réaction chimique entre la lave à haute température et les eaux de l'océan est responsable de nuages de vapeur chargés en acide chlorhydrique appelés LAZE, de pH 1,5-2,5. Ces nuages acides sont irritants pour les voies respiratoires, les yeux, la peau et même les vêtements.
Lors d'éruptions très importantes, le dioxyde de soufre est éjecté jusque dans la stratosphère, à 20-50 km. d'altitude, où
les vents sont forts et favorisent une circulation qui peut être planétaire. Etant donné les mouvements verticaux réduits, les gaz qui s'y trouvent propulsés peuvent y rester longtemps ... ils y
forment avec l'humidité ambiante des aérosols d'acide sulfurique qui absorbent et réfléchissent la lumière solaire, engendrant une réduction de 5 à 10% de l'énergie reçue sur la surface
terrestre, ce qui peut faire baisser la température de la troposphère de 0,1 à 1°C durant parfois 2 à 3 ans.
Baisses de température de la troposphère sur plusieurs années, causées par les éruptions d'El Chichon et du Pinatubo - doc.
NOAA / intellicast.
2. Effets directs sur la santé humaine et animale
:
Ces effets sont très variables, pouvant aller de l'irritation oculaire et cutanée, à des atteintes des voies respiratoires et
dans les cas extrêmes jusqu'à la mort.
Toxicité de l'H2S :
- Seuil de toxicité (mg/m³) : 14
- Seuil de perception (mg/m³) : 0,000 66
C'est-à-dire que notre système olfactif est capable de détecter cette substance en très faible quantité. Ceci
nous permet d'être alerté avant une absorption pouvant être toxique. Ceci n'est pas toujours le cas pour toutes les substances nocives.
Attention, à partir d'un certain seuil, facile à atteindre, le nerf olfactif est paralysé et la détection du
gaz devient impossible.
L'exposition à des concentrations inférieures peut entraîner des irritations oculaires et de la gorge, une toux
douloureuse et une perte de capacité respiratoire. L'exposition à de faibles concentrations mais sur le long terme a pour conséquences : perte d'appétit, fatigue, maux de tête, irritabilité,
vertiges et pertes de mémoire. A doses massives, l'inhalation d'H2S peut être mortelle.
Toxicité du SO2 :
L'inhalation de dioxyde de soufre provoque une irritation du nez et de la gorge, une constriction des bronchioles, des
difficultés respiratoires, aggravées par l'effort physique, des douleurs cuisantes aux yeux et un larmoiement.
Toxicité du CO2 :
Celle-ci est bien connue, bien que le dioxyde de carbone soit rarement présent en abondance pour créer des problèmes.
Il représente un grand danger en cas d'émissions de grandes quantités dans un environnement favorable, où il déplace les
quantités d'air disponibles, causant ainsi l'asphyxie des êtres vivants sans dommages pour la végétation.
Les cas qui illustrent le mieux cette toxicité sont le lac Nyos, au Cameroun, où en 1986, une nappe de dioxyde de carbone
dévala les pentes du volcan tuant 1800 villageois et plusieurs milliers de têtes de bétail, et le Nyiragongo/lac Kivu. (voir article sur les dangers du lac Kivu).
Toxicité de l'acide fluorhydrique :
Ce composé est extrêmement toxique, car il réagit dans les organismes vivants, en complexant les ions calcium et magnésium,
les rend inactifs et indisponible pour leur rôle biologique important .
Un exemple catastrophique d'émission massive d'acide fluorhydrique est lié à l'éruption du Laki en Islande, connue sous le
nom de Skaftáreldar (« feux de la rivière Skaftá »): entre 1783 et 1784, 130 cratères émirent, lors d'éruptions fissurales, 15 milliards de m³ de lave basaltique fluide, d'HF
et de SO2, avec des conséquences catastrophiques pour l'Islande et des répercussions sur la santé et la météorologie de toute l'Europe occidentale. Vingt et un % de la population
islandaise mourut de famine, suite à la perte de 80% du cheptel de moutons et 50% du bétail à cause de fluorose dentaire ou osseuse dues aux 8 millions de tonnes de fluor rejetées.
Les énormes quantités de SO2 émises formèrent un brouillard sulfuré qui perturba le temps et les récoltes : durant
les années suivantes, la sécheresse succéda aux étés et hivers rigoureux, dont des orages de grêle en 1788 ; les récoltes anémiées furent détruites accentuant la crise économique profonde la
France, une des raisons de la Révolution de 1789.
Islande - la fissure éruptive du Laki - doc. wikipedia.
Sources :
- Volcanism - de H-U.Schmincke -éd.Springer
- Volcanologie - de J-M.Bardintzeff - éd.Dunod.
- Measuring volcanic gases : emission
rates of sulphur dioxide anc carbone dioxide in volcanic plumes. - USGS
- Volcano and hydrologic monitoring techniques - USGS/CVO
- VOG, a volcanic hazard - HVO/USGS
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