L’éruption mystère du volcan Samalas, voisin de l’actuel Rinjani, sur lîle de Lombok en Indonésie, a été déjà évoquée dans un
article de 2012, avant la parution de l’article de Lavigne & Komorovski. L’article, intitulé " Fosse commune et éruption mystère : 1258 ", évoquait l’une des conséquence démographique de
cette grande éruption.
L’éruption ultra-plinienne du Samalas a expulsé un minimum de 40 km³de magma, accompagné d’un panache de cendres montant
jusqu’à 43 km.
Elle a relâché d’énormes quantités de poussières et gaz volcaniques dans l’atmosphère, ce qui a plongé la terre dans un hiver
volcanique. La trace de cette éruption a été constatée dans les carottages effectués dans les glaces des deux pôles.
Article de Science et Vie : Samalas, ci-gît le volcan qui dévasta le monde il y a 800 ans " - doc. Michel
Lecouteur.
Reconstitution 3D du Mont Samalas (en noir, au dessus de la caldeira) et de l'actuelle
topographie du Rinjani, sur la droite de l'image - doc. Lavigne and others (2013)
L’ampleur du matériel déplacé est perceptible au travers des traits noirs verticaux qui relient la surface de la Terre solide
actuelle à la surface pré-explosion du volcan.
Billet de banque Indonésien de 10.000 rupiah représentant le volcan Rinjani sur Lombok - Doc. Michel
Lecouteur.
Quels ont été les conséquences climatiques et démographiques d’un tel cataclysme ?
On peut s’en faire une petite idée en consultant les chroniques et écrits de l’époque médiévale.
En Indonésie, le poème historique " Babad Lombok ", écrit en ancien Javanais, suggère
une éruption catastrophique qui ensevelit la capitale du royaume de Lombok, Pamatan, avant le fin du 13° siècle.
En Angleterre, le Frère Matthew Paris, vivant à l’Abbaye St Albans dans l’Hertfordshire,
a décrit dans son journal, " Historia Anglorum " : " un froid insupportable … qui affligea cruellement les pauvres, suspendu toute cultures, et tué le jeune bétail. "
Anomalies de température moyenne en degré Celsius au cours des siècles -
l'anomalie très forte de 1258 est a rapporter à l'éruption du Samalas - doc. Mann & al.
Il rapporte qu’en juin, rien n’avait poussé, et en automne, rien ne ressemblait à
une récolte. Le Peuple commença à mourir par milliers, en commençant par les plus pauvres.
Illustration from London, British Library, MS Royal 14 C VII, folio 6r, self-portrait of
Matthew Paris.
" … les cadavres furent retrouvés partout, gonflés et livides, gisant par groupe de cinq à six … lorsque plusieurs corps
étaient retrouvés, de grandes fosses étaient creusées dans les cimetières et un grand nombre de corps y furent déposés ".
Apparemment, l’une de ces grandes fosses était située dans le cimetière de Spitalfields à Londres, le plus grand site
d’ensevelissement des temps modernes. La population de Londres est passée de 50.000 à 15.000 personnes, ce qui a bouleversé la capitale.
L'ostéologue Walker examinant les os du
cimetière de Spitalfields - doc. archeology.co.uk
L’ostéologue du MOLA, Don Walker, qui a daté au radiocarbone les ossements découverts,
n’a pas pu relier cet évènement à une catastrophe connue de l’époque médiévale ; il s’est alors tourné vers des sources documentaires, dans lesquelles il est fait mention de " fortes
pluies, qui ont causé des pertes dans les récoltes ; suite à l’échec de celles-ci, une famine survint … et plusieurs milliers de personnes périrent. "
Selon lui, "
c’est la première preuve archéologique de l’éruption volcanique de 1258 et elle constitue un excellent exemple de la
complexité des connaissances pouvant être obtenues au départ d’une preuve archéologique. Il est incroyable de penser qu’une telle catastrophe naturelle mondiale puisse être identifiée dans
une petite zone de l’est Londonien. "
Ses découvertes sont reprises dans une monographie du MOLA : " A bioarchaeological study of medieval burials on the site
of St Mary Spital: excavations at Spitalfields Market, London E1, 1991–2007 ".
Bill McGuire, professeur de géophysique et des risques climatiques à l’University
College of London, ajoute : " ce fut certainement un évènement volcanique prodigieux, l’un des plus important des derniers millénaires. Par conséquent, ce n’est pas vraiment
surprenant que l’une de ses conséquences fut une sérieuse augmentation de la mortalité à Londres. De par leur influence sur le climat, des grandes explosions volcaniques peuvent affecter
n’importe quelle ville sur la planète, et une éruption aussi distante qu’en Indonésie attendre sans aucun doute la capitale anglaise et y faire des victimes ".
Le volcanologue John Eichelberger, de l’Université d’Alaska à Fairbanks, ajoute que les
effets des éruptions volcaniques sur le climat sont bien documentés. Outre les cendres éjectées dans la stratosphère, " le grand coupable est le dioxyde de soufre, qui forme des gouttelettes
d’acide sulfurique, non réflectives et ne laissant pas passer suffisamment de radiations solaires vers la surface terrestre. Il n’en faut pas plus pour perturber une saison et causer une
catastrophe ". Une chute d’un à deux degrés Celcius peut raccourcir la longueur de la saison de croissance … avec ses conséquences sur les récoltes.
Un père Augustin, Henry Knighton, chroniqueur du 14° siècle a repris les écrits de
M.Paris. Il note, pour l’année 1258, une perte massive de récolte, la famine et la peste touchant durement la ville de Londres.
"Les vents du nord ont prévalus durant plusieurs mois, et lorsque le mois d’avril, de mai et une bonne part de
juin furent passés, seules apparurent une rare fleur ou un germe, avec un espoir incertain de récolte. De plus, la nourriture vint à manquer (la récolte de l’année précédente avait
échoué), et une innombrable multitude de personnes pauvres décéda, et leurs corps furent retrouvés gonflés par la disette, livides, par groupe de cinq ou six, dans des porcheries, des ruelles
boueuses et sur les fumiers. Ceux qui avaient des habitations hésitaient à abriter malades et mourants de peur de l’infection. "
En France, Richer (ou Richerus), un moine Bénédictin et chroniqueur
Lorrain vivant à Senones, connu par dix manuscrits, a décrit l’horrible année 1258 " sans été ": des
épizooties déciment le bétail dès le printemps, les blés pourrissent suite à l’été humide, les productions arboricoles sont réduites à néant.
Chroniques du Frère Richer - Livre V/ chapitre V
Traduit du vieux français : " Que dirai-je des fruits de cette année, vu que l'indisposition du temps était si
grande qu'à peine l'ardeur du soleil pouvait rayonner sur la terre (...). Car au long de cet été les nues et brouillards pluvieux furent si fréquents qu'on l'eût plutôt estimé être un automne
qu'un été. En premier lieu, le foin ne put être séché à cause des pluies incessamment tombées de l'air ; la moisson semblablement fut si abattue de pluies et d'humidité qu'elle fut retardée
jusques en septembre. En sorte que dedans les épis, les grains germaient et qui pis est, comme la plus grande partie des grains fut mise aux greniers, elle se putréfia." (...) "Mais que
pourrais-je dire de la vendange odieuse de ceste année, vu que personne n'en put tirer aucun profit ou émolument, et que telle chose ne se trouve par écrit être jamais advenue ? Quelle chose
pourrait être plus misérable à dire, sinon qu'en tout cet été ne se put jamais trouver un seul grain de raisin propre à manger, même aux alentours de la Saint Rémi, (1°octobre) auquel temps
naturellement mûrit le fruit de la vigne. Les raisins étaient si durs qu'il semblait qu'ils eussent imité la dureté des cailloux. … Mais de malheur un jour de la troisième semaine d'octobre, le
vent septentrional usant de ses violences,, amena une si grande gelée que toute la vendange fut réduite en glace. Et ce non seulement advint en ce pays, mais aussi aux régions plus
lointaines. "
Un autre Bénédictin, Guillaume de Nangis, de St Denis rapporte lui-aussi : "Au
mois de septembre, il y eut en plusieurs endroits de tels déluges de pluie, que les moissons germèrent dans les champs et dans les granges, et que les grappes de raisin ne purent parvenir à leur
maturité nécessaire. Ensuite les vins furent tellement verts, qu’on ne les pouvait boire qu’avec déplaisance et en faisant la grimace."
Le brouillard sec stratosphérique fut aussi remarqué, décrit comme un aspect brumeux persistant du ciel, et un noircissement
total de l’éclipse de Lune en mai 1258, relaté par le chroniqueur et moine Bénédictin Anglais John de Taxter.
La couleur normale de la Lune en éclipse est rouge… mais en raison de la présence d’abondants aérosols volcaniques dans la
stratosphère, la lumière incidente n’a pu être réfractéeet diffusée dans le cône d’ombre, la Lune apparaissant noire de ce fait. La transparence de l’atmosphère est altérée par plusieurs facteurs
comme la présence de nuages, d’aérosols mais aussi par les molécules de l’atmosphère elles-mêmes...L'épaisseur optique d’aérosols ou AOT décrit plus spécifiquement à quel point les aérosols
affectent le passage de la lumière à travers l'atmosphère, pour une longueur d'onde donnée.Pour que la Lune disparaisse effectivement, la profondeur optique des aérosols doit être de 0,1 ou plus.
(Link 1963)
Sources :
- Extraits de chroniques fournis par Michel Lecouteur
- Chronique de Richer – 13° siècle- link
- MOLA : A bioarchaeological study of medieval burials on the site of St Mary Spital: excavations at Spitalfields
Market, London E1, 1991–2007
- Climatic and demographic consequences of the massive volcanic eruption of 1258 - R.B.Stothers
- Quantification volumétrique de l'explosion caldérique majeure de l'holocène : le volcan Samalas en 1257 (Lavigne & al.
2013)
- CNES - Mesure de l’épaisseur optique - link
- Current archeology - London's volcanic winter / Août 2012 - link
- Current archeology - Reading the bones: Spitalfields' human remains - août 2012 - link