Caractéristiques de la lave effusive de l'Ol Doinyo Lengai :
Les carbonatites sont des roches plutoniques peu communes, pour la plupart intrusives (dykes, portions de cônes). La plupart des carbonatites sont des carbonatites calciques, composées principalement de calcite (qui est du carbonate de calcium).
Au Lengai, nous avons affaire à d'autres spécificités:
- c'est une carbonatite extrusive (expulsée hors du sol) . Les rares carbonatites extrusives se produisent dans des environnements de rift : comme au Kerimasi, Mosonik ou Shombole, voisins du Lengai ou au Kaiserstuhl , dans le rift Rhénan.
- c'est une natrocarbonatite, c'est à dire une carbonatite composée majoritairement de carbonate de sodium et potassium ... cas beaucoup plus rare encore.
Les minéraux qui prédominent dans les laves du Lengai sont:
- la nyerereite (baptisée du nom de Jules Nyerere, premier président de la Tanzanie indépendante) : Na2Ca(CO3)2.
- la gregoryite (du nom de .W.Gregory, un des premier géologue à étudier le rift africain) : (Na2,K2,Ca)CO3.
photo en lame mince sur :http://www.mindat.org/photo-104685.html
Ces carbonates sont des minéraux anhydres, qui réagissent rapidement au contact de l'humidité atmosphérique.
La lave noire et fluide qui est émise se transforme ainsi rapidement en lave gris brun, voire blanche en quelques heures ou mois. En même temps, la texture de la roche change : de dure, elle devient douce et friable.

Le fait que les laves du Lengai contiennent peu de silice conditionne les propriétés physiques, rhéologiques de celle-ci : cette lave est très fluide (elle coule comme de l'eau), noire à son émission et reste liquide à des températures extrêmement basses de l'ordre de 490 à 540°C (Krafft 1989 - Nyamweru 2001), contrairement aux laves basaltiques fluides à ~1.100°C.
Bien que la natrocarbonatite soit liquide à basse température, elle ne présente pas d'incandescence. La nuit, la lave rougeoit "rouge-foncé" et ce rougeoiement disparait de jour.

(lien en cliquant sur la photo)
La lave "fraiche" (rouge) surmonte une coulée récente et encore noire.
A VOIR sur le site de Thorsten Boeckel, que je remercie pour son aimable autorisation.
http://tboeckel.de/EFSF/efsf_wv/lengai_04/lengai_04_III_e.htm
On peut ainsi facilement les observer, les prélever et les photographier sans protection spéciale.
"Le mystère des carbonatites en partie dévoilé" :
Un article de Lave-Belgique, signé Alain Melchior (07.05.2009), nous parle des origines de la natrocarbonatite.
" " Dans un article publié dans la revue Nature, une équipe internationale (France-USA-Tanzanie)* rapporte les résultats d'une mission d'échantillonnage des gaz volcaniques au cratère du volcan tanzanien, Oldoinyo Lengai (la montagne des dieux en langue Masaï), connu pour émettre des carbonatites, laves rarissimes exemptes de silice et très riches en CO2. La chimie et la composition isotopique des gaz montrent que le CO2 provient directement du manteau sous- jacent au rift Est Africain, semblable à celui qui alimente en magma les rides médio-océaniques. Ces résultats révèlent ainsi l'uniformité du manteau supérieur sous les océans comme sous les continents. L'abondance du CO2 est liée au processus de fusion et non à la composition du manteau. L'expédition dirigée par Pete Burnard et Bernard Marty, géochimistes au CRPG de Nancy (INSU-CNRS) était soutenue par l'Institut National des Sciences de l'Univers (CNRS) et la National Science Fondation.
L'équipe est arrivée au sommet du volcan (2960 m dans l'axe central du rift) au début d'une nouvelle phase éruptive, à un moment où le volcan était sous la pression de l'arrivée de magma frais. Elle a pu prélever des gaz d'une qualité exceptionnelle. Les gaz éruptifs échantillonnés sont issus du manteau et permettent de déterminer la concentration en carbone du manteau source des laves de l'Oldinyo Lengai à moins de 300 ppm (parties par million) de carbone. Cette concentration est identique à celle estimée pour le manteau sous les rides médio-océaniques. Le manteau situé sous le rift tanzanien n'a donc pas de particularité. C'est le processus de fusion qui conduit à la formation des laves qui lui, est exceptionnel.
Ces laves très particulières (carbonatites) proviennent d'un magma parent
(nommé néphélinite) très pauvre en SIO2 qui se forme par fusion partielle caractérisé par un très faible un taux de fusion (moins de 0,3 %) d'un manteau supérieur typique. Le
liquide issu de cette fusion magmatique produit alors, sans doute à faible profondeur, c'est-à-dire à basse pression, l'immiscibilité des carbonates et des silicates, un peu comme de l'eau et des
gouttes d'huiles. (Des études précédentes avaient suggéré que des teneurs en CO2 plus importantes, jusqu'à plusieurs %, étaient nécessaires pour produire des néphélinites et des
carbonatites)." "
" " Dans un langage compréhensible pour tout un chacun, on peut dire qu'un liquide immiscible riche en carbonates (disons de l'huile) issu d’un liquide parental silicaté (disons de l'eau) à haute température se refroidira en précipitant uniquement des silicates, jusqu'à ce qu'il atteigne une frontière de cristallisation silicates-carbonates, où il est capable de précipiter des minéraux carbonatés, qui peuvent alors former des cumulats de carbonatite. Le long de cette frontière de cristallisation , la coprécipitation de calcite conduit le liquide magmatique résiduel vers des compositions riches en alcalin (Na20 & K20); conduisant à la fameuse natrocarbonatite du Lengai.
Le modèle détaillé expliquant la petrogenèse des natrocarbonatites de l'Oldoinyo Lengai implique une différenciation (évolution pétrochimique) par cristallisation fractionnée (séparation des phases minérales au fur et à mesure de la cristallisation, le plus souvent par gravité) étendue d'un magma basaltique alcalin riche en carbonates suivi par une séparation immiscible de natrocarbonatite à basses pressions (c.a.d. celles régnant à des profondeurs superficielles des réservoirs magmatiques)." "
Voir aussi un article du géologue Frank Möckel, en allemand, sur la Pétrogenèse et Pétrologie des laves du Lengai, en cliquant sur le figure ci-dessous :
Schéma sur la pétrogenèse des carbonatites par :
Petibon, Kjarsgaard, Jenner & Jackson (1998)
in Journal of Petrology
vol.39 11-12.
Stalactites, stalagmites et autres bizarreries :
Quelques merveilles, malheureusement pulvérisées lors de l'éruption vulcanienne de 2007.
Ceci nous montre en miniature le mode de formation d'un hornito ... et démontre que de la lave peut sortir à tout moment, sous nos pas, ou pire sous nos tentes. © B.Duyck
© B.Duyck
Ces stalactites de carbonatite ne sont pas de la lave projetée sur les parois; leur mécanisme de formation est tout autre : la vapeur des fumerolles se condense sur les parois de même nature; l'humidité dissoud ces sels et la percolation engendre des stalactites et des stalagmites de la même façon que dans les grottes calcaires.
Dans une "grotte" sous l'hornito T37B, de magnifiques stalactites de natrocarbonatite, bien blanche, dentelle minérale éphémère.
Stalagmite de natrocarbonatite (7 cm. diamètre / 5 cm. hauteur) - © B.Duyck
Sources et photos à consulter sur :
- "Ol Doinyo Lengai, the mountain of God"
http://frank.mtsu.edu/~fbelton/lengai.html
- article du géologue Frank Möckel - 12.2005.
http://tboeckel.de/EFSF/efsf_wv/lengai_moe/erforsch.htm
- site de Thorsten Boeckel - expédition 2004.
http://tboeckel.de/EFSF/efsf_wv/lengai_04/lengai_04_I_e.htm
- "Phase Relationships of a Silicate-bearing Natrocarbonatite from Oldoinyo Lengai at 20 and
100 MPa" :
1 Department of Earth Sciences, Memorial University of Newfoundland St John's, NFLD, Canada, A1B 3X5
2 Geological Survey of Canada 601 Booth Street, Ottawa, Ont., Canada, K1A 0E8
Maurice Krafft & Jörg Keller, in Sciences 1989
http://www.sciencemag.org/cgi/content/abstract/245/4914/168