Le Kawah Ijen, popularisé par les images des Krafft, puis celles de Nicolas Hulot, est maintenant connu de tous pour sa mine de soufre et ses célèbres porteurs.
Le lac et la solfatare du Kawah Ijen - photo
Tianyake
Il convient cependant de replacer le " cratère vert " dans son contexte géologique. Le volcan Ijen, contenant le lac acide, est adossé au Gunung Merapi (celui de Java-est), tous deux faisant partie avec d’autres volcans de la caldeira de Kendeng, formée il y a environ 50.000 ans lors de l’effondrement de l’Old Ijen, un stratovolcan dont la formation remonte elle à 300.000 ans.
La caldeira de Kendeng (appelée ici Ijen Hoogland) et les massifs de l'Ijen et
du Raung - carte de 1937 Atlas van Tropisch
Nederland
Le Kawah Ijen est situé à doite de cette ancienne carte.
Les restes de l'Old Ijen et la caldeira de Kendeng (ou de l'Idjen) - carte
ULB
Le lac acide du Kawah Ijen :
L’activité volcanique est restreinte actuellement au volcan Ijen, qui abrite un lac de cratère acide depuis au moins 200 ans. ; ses éruptions historiques sont principalement de nature phréatique.
Le lac, situé à 2200 mètres au dessus du niveau marin, a une forme ovale régulière ; ses dimensions : 600 m. sur 1.000m, et une surface de 41 Mm² pour un volume estimé entre 32 et 36 Mm³.
Sa morphologie n’a pas beaucoup changé entre les cartes établies en 1920 (Kemmerling ) et celle du VSI en 1994, malgré les éruptions phréatiques répétées. Par contre, celle du fond du lac s’est modifiée : en 1925, son point le plus profond est mesuré à 198 m. et localisé à l’est du centre. En 1938, il migre vers l’ouest, ce qui confère au lac plusieurs points bas : une profondeur de 200 m. environ au centre, et en différents points à l’ouest.
Les volcanologues hollandais ont montré une relation entre le taux de précipitations, la température et le niveau du lac. Les précipitations annuelles dans la zone de l’Ijen sont variables entre la saison humide (novembre à avril) et la saison sèche (de mai à octobre) , avec un maximum de 2,5 mètres/an. Le niveau du lac peut monter de 4 mètres à la saison humide.
Un barrage a été construit en 1931 par les hollandais pour réguler le niveau des eaux et prévenir des débordements qui
peuvent s'avérer catastrophiques en saison humide; ces installations ne sont plus opérationnelles comme elles le devraient.
Les températures de surface du lac sont toujours supérieures à celle de l’air ambiant et décroissent généralement en saison des pluies ; la moyenne est de 40°C, avec un maximum à 46° et un minimum à 32°C (mesures entre 1980 et 1993).
En périodes d’activité " normale ", les températures sont relativement homogènes et ne varient pas significativement avec la profondeur.
La chimie du lac est déterminée par la dissolution de substances volatiles d’origine magmatique,de l’interaction entre les fluides et les roches, de l’évaporation de l’eau du lac, de leur dilution par les eaux météoriques et du recyclage des eaux dans le système hydrothermal sous la surface. Le lac agit comme un condenseur chimique de substances volatiles, introduite par injection directe de gaz magmatiques via des fumerolles subaquatique ou à partir de saumures chaudes au fond du lac, et comme un calorimètre capturant la chaleur émise par un réservoir magmatique superficiel.
Le lac acide du Kawah Ijen - au fond, au centre, le barrage construit par les hollandais - photo J. Blethrow.
Chimiquement, le Kawah Ijen est un lac acide de type sulfate-chlorure, chargé en éléments dissous. Son pH est bas , environ 0,2 .
La forte acidité et les hautes concentrations en sulfates, chlorures et fluorures sont attribuées aux gaz magmatiques sortant au fond du lac.
Des échantillonnages répétés et leur comparaison avec les données antérieures montrent que la composition est restée constante au cours des dernières 60 années.
Les concentrations ne varient pas de façon marquée avec la profondeur, signe que les eaux du lac sont bien mélangées et les processus chimiques stables, avec des variations saisonnières liées aux différences de volume global.
Des agrégats de sphérules de soufre peuvent être vus flottants en surface ; Pris individuellement, les globules sont creux et ont un diamètre de plus de 5mm. Ils contiennent des inclusions microscopiques de cristaux de sulfures (pyrite, bismuthinite, luzonite et stannite). Ces globules de soufre natif auraient pour origine de bassins de soufre liquide situés sur le fond et sont ramenés en surface par la décharge gazeuse, ou seraient formés par oxydation en milieu aqueux de bulles de gaz riches en H2S.
Des couches de sédiments lacustres riche en soufre sont exposés sur la paroi interne du cratère ; ils contiennent du soufre pyroclastique, originaire d’éjection de matériaux profonds au cours des explosions phréatiques.
La mine de soufre du
Kawah Ijen - photo Justin Blethrow.
Les gaz émis par le volcan s’échappent pour une part sur les bords du cratère et forment une solfatare très active. Les activités minières s’y sont développées depuis les années 60.
La température des gaz varie autour de 200°C, avec des maxima mesurés en 1979 à 244 °C ; elle semble indépendante des variations de pluviométrie saisonnière.
La composition chimique des gaz est typique des gaz de haute température caractérisant les arcs volcaniques.
La rivière Banyupahit- Banyuputih (cours moyen dans la caldeira) et les sources chaudes, drainages du lac acide du Kawah Ijen - doc. ULB / Ijen volcanic
complex.
La rivière hyperacide Banyupahit-Banyuputih et ses effets sur la santé:
Le trop-plein du lac se déverse au niveau de la caldeira dans la rivière appelée Banyupahit (les eaux amères), avec un débit de 50 litres/seconde dans la région sommitale. Un peu avant sa sortie de l’enceinte de la caldeira, près de Blawan, cette rivière voit sa composition chimique changer par l’apport des rivières Kalisat et Kalisengon, et la décharge des sources chaudes ; sa couleur varie également, son apparence devient laiteuse et on la dénomme Banyuputih (les eaux blanches).
Carte du cours supérieur de la rivière Banyupahit, avec indication de pH, température et teneur en Cl et Fe (colorimétrie) - doc. GVP par the McGill University, Simon Fraser University, and the Institut Teknologi Bandung (ITB) research team.
Le pH des eaux varie de 0,5 (le pH du lac ) au départ de la rivière, dont les eaux sont vert-pâle, pour monter de deux unités au moment de la dilution par les eaux neutres des rivières confluentes. Au niveau du barrage d’irrigation près de Liwung, le pH en saison sèche est de 3 à 4,5.
Les eaux de la rivière Banyuputih sont utilisées pour l’irrigation de 3.500 hectares de terres agricoles abritant principalement du riz et de la canne à sucre. Cette région est habitée par environ 100.000 personnes.
La composition chimique de ces eaux a un effet certain sur la santé des personnes qui en dépendent.
Des analyses pratiquées en 1996 révèlent que 150 tonnes de sulfates, 2,8 tonnes de fluor, 50 tonnes de chlore, 10 tonnes d’aluminium, 34 tonnes d’oxyde de silice, 420 kg. de manganèse, 35 kg de titane et 4 kg de cuivre sont déchargés journellement dans le réseau d’irrigation. A long terme, le lac et le système de rivière apportent des millions de tonnes de métaux lourds dans la région côtière. Les puits utilisées comme source d’eau potable contiennent de hautes doses de fluor, responsable e.a de problèmes dentaires. L’action des autres éléments toxiques, Al, Mn, As, Cd, Hg, Pb, Se, Cu et Zn, sur la santé n’est pas à négliger non plus. (Delmelle & Bernard 2000).
Sources :
- Global Volcanism program - Ijen
- ULB - Ijen volcanic complex - link