Petite "mise en bouche" ...
Philippe Audra, docteur en géographie au laboratoire de géo-écologie alpine et méditerranéenne de l’Université de Nice-Sophia Antipolis, est l’auteur d’un "inventaire préliminaire des cavernes de l’île de la Réunion". Il a recensé environ 80 structures volcaniques associées aux coulées basaltiques, dont 18 tunnels de plus de 100 mètres , le plus important atteignant près de deux kilomètres, pour des dénivelés compris entre 50 et 100 mètres.
La Réunion - petits tunnels de lave de taille
décimétrique - photo RV.
La Réunion - massif de La Fournaise - un tunnel un peu plus grand dans une coulée du Piton Chisny - photo B.
Navez
A La Réunion, ces tunnels portent des noms exotiques : cavernes Bateau, trou de la Plaine-des-Palmistes, caverne des Fées, caverne du Brûlé de Citrons-Galets, grotte des Salanganes, grotte du Bernica, Le Trou d’Eau, Caverne de la ravine Fleurimont, trou du sentier de Piton Textor, caverne de la ravine Saint-François, caverne aval du Pylône, caverne des Quatre-Voies, caverne du Butor, cavernes de la Rivière-des-Remparts, caverne nord du chemin Bruniquel, caverne du Nez-de-Bœuf, grotte du Guano, caverne du Vieux Fusil et caverne sud du Chemin Bruniquel.
La plupart des tunnels de lave du Piton de La Fournaise ont été découverts lors des chantiers de terrassement réalisés dans
le cadre de travaux de construction. Ils sont causes d'effondrements répétés de la route côtière RN 2.
Tunnel de lave et effondrement routier - Doc. BRGM / La Réunion.
Parmi ceux-ci, quelques mots sur les structures majeures associées à des coulées d’âges divers : la Caverne de Citrons-Galets dans la coulée de 1800, la caverne Bateau, et le tunnel de la coulée de 2004.
Le tunnel de Citron-Galets (ou caverne du Brûlé de Citrons-Galets) :
L’éruption de Citron-Galets qui s’est produite entre le 2 et le 8 novembre 1800, nous est révélée par Bory de saint-Vincent et Alfred Lacroix, sur base des notes de Joseph-Henri Hubert, agriculteur à Saint-Benoit et guide de Bory, en son temps :
" L’éruption qui s’est fait une issue au dehors de l’enclos, à peu près vers les sources des ravines des Citrons-Galets et du Tremblet, a eu lieu le 2 novembre 1800 et est parvenue à la mer, le 8 du même mois, à 9 heures du soir. La lave, en arrivant à la mer, tombait en cascades dans le lit de la ravine des Citrons-Galets, à soixante gaulettes - La gaulette était une ancienne unité de mesure de Bourbon et correspondait à 15 pieds de Roi, soit 4,875 mètres - environ de celle du Tremblet par où la lave a aussi coulé, mais goutte-à-goutte et sans aller plus loin. (…) Il est impossible de décrire la cascade de lave de la ravine des Citrons-Galets ; cette cascade était un des spectacles majestueux et terribles qu’on ne peut rendre dans aucune langue. La lave tombait à plomb de 80 à 100 pieds de hauteur ; elle était divisée en trois courants de feu : celui du milieu d’un volume considérable, était aussi fluide que de l’eau. Les autres coulaient à peu près comme aurait fait le miel. "
La Réunion -
tunnel des Citrons-Galets - photo JP. Gourseaud / Randopitons
L’éruption
de Citron-Galets s’est faite par fentes excentriques sur les pentes extérieures du cône interne du volcan, à l’extérieur des remparts de Bois blanc et du Tremblet.
Carte de prospection du BRGM 2005.
Ce tunnel mesure 680 mètres de long pour une dénivellation de 94 mètres ; il présente par endroits un diamètre allant jusqu’à 4 mètres. S’y succèdent stalactites de lave, figures de flux, plancher en gratons.
La Réunion - tunnel de Citron-Galets:
entrée et structures - doc. BRGM
La Réunion - Tunnel de lave de Citron-Galet : tubes imbriqués et
banquette de lave -
photo Spéléologie.free.fr
Il fait l’objet, comme la caverne Bateau, de projets d’aménagement en vue d’une ouverture au public … qui n’en finissent pas d’aboutir.
La polémique sur l’équipement des tunnels de La Réunion pose le problème de leur dangerosité : outre les risques d’effondrements, le manque d’aération est à l’origine des fortes teneurs en gaz toxiques dans l’air. Il pose aussi celui de leur préservation : ces structures magnifiques mais fragiles ne peuvent supporter un tourisme de masse. Eternel conflit entre sécurité et moyens de l’assurer … sans confiscation du site !
Pour l'anecdote : le citron galet - Citrus aurantifolia - est un agrume épineux de la famille des Rutacées, originaire
d’Inde, de petite taille, produisant un petit citron consommé vert.
Très juteux et parfumé, il est utilisé dans le punch et dans le rougail, où mélangé au piment, il accompagne la cuisine
Réunionnaise.
Carte simplifiée des structures du massif de LA Fournaise - par A. Demaison dans le livre de Krafft, réf. en sources.
La Caverne Bateau est le plus grand tunnel répertorié de l’île. Sous la Plaine des Cafres, son réseau atteint 1900 mètres. Elle est actuellement interdite d’accès !
Une carte et une description précises ont été faites en 1999, par Diego Coppola, étudiant de l’Université de Turin, en stage à l’Observatoire Volcanologique du Piton de La Fournaise … stalactites de lave, banquettes et tubes superposés s’y rencontrent au gré de la progression, parfois difficile.
La Réunion - Caverne Bateau - photo IMAZPress
Les hirondelles des Mascareignes, les salanganes, y ont établi quatre colonies pour un total de plus de cent nids, qui au vu des monticules de guano, ne datent pas d’hier … selon les ornithologues : " Le maintien des colonies de salanganes qui nichent dans les tunnels de lave du coteau de Brèdes représente un enjeu majeur de protection sur le site. Le caractère endémique de l’espèce, la spécificité de la population de la caverne Bateau par rapport aux autres colonies connues de la Réunion - période de reproduction différée - justifient une protection forte et une vigilance particulière dans la définition des aménagements futurs et de la gestion mise en œuvre. Cependant, l’ouverture au public d’une partie des galeries n’est pas incompatible avec la tranquillité nécessaire à la reproduction de cette espèce. Des suivis réguliers devront être mis en place pour attester de cette compatibilité et le cas échéant prendre toutes mesures nécessaires à la conservation des colonies ".
Le décor minéral de la galerie n’en reste pas moins impressionnant. Au bout de quelques mètres, le tube de lave prend une
forme régulière. La voûte s’arrondit, le sol est un chenal plat recouvert de lave cordée. À main gauche, s’ouvre une étrange banquette. La lave liquide qui a coulé 7000 ans plus tôt dans le
tunnel s’est refroidie sur les côtés, laissant derrière elle ces étagères insolites. Plusieurs amoncellements de roche rappellent que la voûte s’effondre de temps en temps. À 150 mètres de
l’entrée, la voûte est traversée par quelques rais de lumière. Il faut ensuite jouer des coudes pour progresser. Le plafond d’un des couloirs est hérissé de stalactites. (description
IMAZPress)
Le tunnel de la coulée 2004 :
Le tunnel de lave de la coulée d’août 2004 n’a fait pour l’instant l’objet d’aucun véritable relevé topographique. Mais les premières évaluations effectuées à l’aide d’un GPS en révèlent les dimensions : c'est le tunnel des superlatifs ! Il est le plus long connu à ce jour à La Réunion, avec un développement de 2.300 – 2.650 mètres, se prolongeant vraisemblablement en amont dans Les Grandes Pentes ; c’est aussi celui qui présente le plus grand dénivelé : 300-350 m. et le plus long tronçon aveugle, avec 1.400 mètres sans accès au jour.
La Réunion - tunnel de lave 2004 : " le salon rouge" - photo Serge Gélabert
/ médiathèque Orange Réunion Tourisme
La Réunion - tunnel de lave 2004 - photo Gaetan H. / Société citoyenne de St Philippe
SCSP
Entre la terre et la lune … La Réunion .
Avec la conquête spatiale, les tunnels de lave sont considérés comme de potentiels abris pour les cosmonautes voulant s’établir sur La Lune ou Mars.
Dans ce cadre et pendant sept semaines, trois Cadets de l'Ecole de l'Air de Salon de Provence ont fait au SALM Sainte-Rose un stage pour la conception d'un " LTRF " (Lunar Tube Research Facility), une "cellule" de 7 m. de long et 2 m.50 de large, soit 17,5 m², un habitat - laboratoire à implanter temporairement dans un tunnel de lave de la coulée 2004 pour y simuler des conditions analogues à une future exploration souterraine lunaire voire martienne.... Un robot sera aussi utilisé pour reproduire la recherche et l’extraction d’éléments géologiques. Quand à nos astronautes chercheurs, ils seront en permanence en liaison avec l’extérieur, avec un moyen des plus classique, la 3G. Le but, y tenir un journal de bord, mais aussi rendre des comptes sur ce qui va, mais surtout ce qui ne va pas. La notion de sécurité a vraiment été mise en avant : une "sortie de secours" est intégré à la future cellule, ainsi que plusieurs interrupteurs pour mettre l’ensemble des équipements hors tension en cas de danger, mais l’extraction demeure le soucis principal, seule une brigade de pompiers est autorisée à intervenir dans les cavités des coulées de lave à La Réunion.
Un des derniers tunnels en date :
La Réunion - prises de mesures par les équipes de l'IPGP sur un tunnel du Grand Brûlé -
photo M. Moreira 10.2007
Sources :
Des photos à voir sur :
- Ricaric - Canyoning et Tunnels de lave - link
- Face aux feux du volcan - photos de Christian Holveck - link
- Volcans Passion - le blog de Sylvie et Daniel Chereau - Tunnels de lave La Réunion - avec photos du Salon rouge / coulée 2004 de Thierry Sluys - link
- Au coeur de La Fournaise" par R. Bénard & M. Krafft - éd. Nourault & Bénard.