Les hommes d’église ont été de grands observateurs des cataclysmes volcaniques jusqu’au milieu du 19° siècle.
En 1783, le réverend Jon Steingrimsson officie à Prest Bakki. Ce pasteur luthérien se retrouve ainsi aux premières loges pour rapporter l’éruption fissurale du Laki.
Le révérend Jon Steingrimsson -
photo du film " Nuage mortel 1783 "
un clic sur la photo vous donne accès aau film - 47 min.
« Le 8 juin 1783, par une claire matinée de Pentecôte, un épais nuage de sable apparut au nord des montagnes. La nuée était si vaste qu’elle recouvrit rapidement toute la région, et si épaisse qu’elle obscurcit complètement le ciel. Cette nuit-là, de violentes secousses sismiques se firent ressentir ».
Le drame débute ce matin-là, à neuf heures précises, lorsque la terre s’ouvre dans la région de Sida, au sud de l’Islande, sur une longueur de 25 km., formant une fissure constellée de 135 cratères. Le " feu de la rivière Skafta " va produire près de 10 km³ de lave durant les 50 premiers jours de l’éruption, avec un débit moyen de 2.200m³ par seconde.
Bref récit de l'éruption sur ce blog en cliquant sur ce lien
La fissure éruptive du Laki et sa centaine de cratères
- photo © Antony Van Eeten
Mais revenons au récit du révérend Steingrimsson :
« Avec mes compagnons, je me rendis à la crevasse. Le fleuve de feu avait maintenant pris une extension comparable à celle de nos grandes rivières lors de la débâcle de printemps. Au milieu de ce fleuve se précipitaient et déboulaient des rochers et des blocs de pierre comme s’il y avait d’énormes roues en train de nager, le tout d’un rouge ardent. Quand ils heurtaient sur leur passage quelque chose de dur, devant ou sur le côté, ou quand des rochers se heurtaient en faisant des étincelles sous le choc, il en volait ça et là des flammèches et des langues de feu si grandes que le spectacle était affreux.
Je regardais aussi l’éruption souterraine, comme beaucoup la connaissent également. D’abord la terre se gonfla, dans un concert de hurlements, pleine d’un vacarme qui la fit éclater en morceaux, la déchira et l’éventra comme lorsqu’un animal enragé met en pièces quelque chose. Alors, flamme et feu sortaient du moindre trou dans la lave. De grands blocs de pierre et des mottes de gazon étaient projetés en l’air à une hauteur indicible, de temps à autre avec de grands claquements, éclairs, jets de sable, fumées claires ou denses. Oh ! quelle épouvante c’était de contempler de tels signes de colère, de telles manifestations divines.
Le 9, de la cendre dériva sur tout le Sida, de la sorte que la terre était noire. Le 10, la même chute de cendre se maintint.
Le 11 et le 12 survinrent une grosse pluie et du vent : ils harcelaient ces cendres et les dispersaient de sorte que l’on réapercevait le sol. Là où l’on apprit qu’il n’y avait pas eu de chute de sable dans le Medalland et que le bétail avait survécu, quelques paysans se rendirent et allèrent aussi loin à l’ouest qu’il le fallait pour se mettre à l’abri avec leur bétail, bien que cela ne servit guère. (…) »
Lakagigar - Cônes
sur la fissure éruptive - photo © Antony Van Eeten
Le révérend Steingrimsson fit le 20 juillet son fameux " sermon de feu " - Eldmessa – qui a, selon la légende, stopper la coulée de lave.
« Le 20 juillet, qui était le cinquième dimanche après la Trinité, il y eut le même temps couvert, avec des coups de tonnerre, des éclairs, des grondements et des mouvements souterrains. Et comme le temps était passable, j’allai, moi et tous ceux qui étaient dans le Sida, à l’église, dans la pensée craintive et affligée que ce pourrait bien être la dernière fois que l’on y célébrerait les offices, sous l’empire de la crainte qu’approchât le moment où elle serait dévastée.
Coups de tonnerre et éclairs se succédaient avec une telle force que tout flamboyait dans l’église et qu’il y avait comme des échos dans les cloches, le sol tremblant fréquemment. (…)
Après l’office, on alla contempler les progrès qu’avait fait le feu : il n’avait pas progressé sensiblement depuis notre arrivée, il avait préféré, pendant ce temps, s’entasser et gonfler dans les mêmes limites, couche sur couche, là dans le lit de la rivière en pente, d’environ soixante-dix toises de large et vingt de profondeur – tel qu’il restera visible jusqu’à la fin du monde s’il ne se produit pas d’autres changements.
La Holsta et la Fjadara (deux rivières) débordaient des endiguements que la lave nouvelle leur avait faits, les vagues
déferlantes et impétueuses étouffaient le feu qui s’étalait dans sa course dans le lit de la rivière et progressait depuis l’entassement, formant des cascades et courant parmi les coulées de
lave. »
(Texte traduit de l’islandais par Régis Boyer / extrait de :" Les feux de la Terre, histoires de volcans " / M. Krafft)
Le site de
Kirkjubaejarklaustur - sur le panneau informatif local - photo © Antony Van Eeten
L'église nouvelle de
Kirkjubaejarklaustur, édifiée en 1974 - photo klaustur.is
Lakagigar - les eaux recoupent le basalte et
cascadent - photo
© Antony Van Eeten
Sources :
- Les feux de la terre, histoires de volcans - par M. Krafft - éd. Découvertes Gallimard
- Global Volcanism Program - Grimsvötn
- Guide des volcans d'Europe - M. Krafft et de Larouzière.
- Volcanism - by H-U Schmincke - éd. Springer
- LAVE Thématique n° 1, 1993, Les volcans, le climat et la révolution française par Roland Rabartin et Philippe Rocher.