Les laves du Laki recouvrent au cours des premiers mois plus de 370 km², engloutissant deux églises, quatorze fermes et
endommageant trente habitations … pourtant la vraie catastrophe est à attribuer aux cendres et aux gaz : moins de 15 % de la masse volatile se répand sur l’Islande, et 80 % environ
parviennent en altitude, entre 9 et 15 km., propulsés au sein du panache éruptif.
Les émanations de gaz et cendres furent à la fois troposphérique et stratosphérique - Doc. Thodarson & Self 2003 / via Alan Robock -
Rutgers
Effets de l'éruption du Laki : les dix périodes d'éruption entre juin 1783 et
février 1784, avec respectivement la décharge en magma, les différentes phases explosives - Doc. Thodarson & Self 2003
Le premier effet Laki : le VOG
Les conditions atmosphériques sont spéciales sur l’Islande en 1783 : les vents, qui soufflent d’habitude en direction
du nord, véhiculent le nuage volcanique en direction de l’est puis du sud-est, sous l’action de courants anticycloniques tournant dans le sens des aiguilles d’une montre (de la Scandinavie vers
l’Allemagne, puis la France, ensuite l’Angleterre et l’Ecosse)
Suite à la convergence de flux d’air au niveau de la tropopause, les aérosols du Laki sont aspirés dans une grande cellule
de haute-pression quasi stationnaire localisée sur le continent européen, et réintroduits dans les couches basses de l’atmosphère par les masses d’air en subsidence, diffusant en spirale sur
différents pays.
Eruption du Laki - la colonne éruptive des premiers
épisodes et la subsidence des aérosols fin juin début juillet - Doc. Thodarson & Self 2003
Ici encore, la présence d’un brouillard sec et odorant, son aspect et ses conséquences sont relatés dans les registres
officiels et dans la correspondance … par des ministres du culte, et quelques médecins.
Voici quelques témoignages provenant de France :
Extrait du registre paroissial de Morfontaine (Meurthe et Moselle)
" L’Europe entière a vu successivement et avec un égal étonnement un brouillard sec qui, pendant une grande partie des
mois de juin et juillet, interceptoit les rayons du soleil et de la lune et donnoit à ces deux flambeaux une couleur de sang ; et beaucoup d’épidémies affligeantes, grandes sécheresses, cependant
bonne récolte, mais peu abondante."
Signé illisible, curé de
Morfontaine.
Le curé de Douy (Eure et Loire) signale dans les registres : " Le 9 juin 1873, a paru un brouillard sec semblable à une fumée qui s'est épaissie de plus en plus. Elle a duré ainsi jusqu'au 6 du mois
de juillet; quelques jours cependant, elle étoit moins épaisse que les autres. Elle a recommencé le jeudi 9 juillet et a continué jusqu'aux environs du mois de septembre; il y avoit cependant
quelques jours clairs. "
En Angleterre, atteinte par le nuage le 22 juin, il est décrit par Gilbert White, ecclésiastique et naturaliste demeurant
à Selborne dans le Hampshire, dans une lettre à son ami, Daines Barrington, membre de la Royal Society : " La
brume d’un aspect particulier ou le brouillard cotonneux qui s’est imposé sur notre île et au-delà de ses frontières était d’une apparence des plus extraordinaires, sans égal connu dans la
mémoire de l’humanité. "
Il expliquait également que les cendres exerçaient un effet spectaculaire sur la lumière du jour : " À midi, le
soleil était aussi pâle qu’une lune nuageuse. Il envoyait un rayon de lumière ferrugineuse sur la terre et les sols des maisons. Il était particulièrement rougeoyant et de la couleur du sang au
moment du lever et du coucher. "
Il note également que l’été 1783 fut inhabituellement chaud et sec .
D’autres érudits de l’époque relatent les faits, et on les retrouve entre autres dans les archives de la Société Royale de
Médecine Française, créée en 1778. La société lance une enquête visant à déterminer une corrélation entre la morbidité et le climat ; de nombreux correspondants remplissent des bordereaux
mensuels, comportant d’une part des observations météorologiques, d’autre part des rapports nosologiques (La nosologie
est l’étude des caractéristiques des maladies en vue de les classer systématiquement).
Un peu partout en Europe, on mentionne un brouillard sec à l’odeur " sulfurée ",
accompagné d’un air " fort affligeant ".
(Ces
documents sont malheureusement toujours trop peu exploités)
A Montpellier, le naturaliste Mourgue de Montrédon est le premier à établir un rapport de causalité entre le brouillard et
l’éruption dès le 17 juin. Benjamin Franklin, qui se trouvait en Europe à l’époque, avait identifié la forte odeur comme émanant certainement d’un volcan.
Extension sur l'hémisphère nord du "brouillard du Laki" et dates de première apparition
de celui-ci sur le continent européen - doc. Thodarson & Self / The Economist.
Au-delà du continent européen, le nuage atteint le Moyen-orient où il est renseigné à Tripoli le 30 juin, et à Bagdad le
1° juillet. Il est repéré par un notaire Québecquois, vers le milieu octobre :
"Vers trois heures un quart nous eûmes une
obscurité extraordinaire, si bien que l’atmosphère fut d’un jaune lumineux au dessus des campagnes ; il vint ensuite des rafales de vent et de pluye... on attribua ce phénomène à quelques mines
de souffre en feu... cette obscurité s’est faite sentir jusqu’à Niagara, et non plus loin ".
Les principaux effets délétères sur la santé des brouillards d’acide sulfurique sont l’érosion dentaire, l’irritation des voies respiratoires, de la peau et des yeux et une altération
sensible de la fonction pulmonaire, principalement chez les très jeunes enfants (les gaz soufrés se combinent avec l’humidité interne pour former de l’ac. sulfurique dans les poumons).
À ces différents maux, le "brouillard sec " provoque
en raison de la chaleur, la pollution de l’eau qui favorise également la transmission de maladies intestinales.
Le bilan est très lourd :
En Islande, une surmortalité de 24% suite à la famine, se double de la perte de 50% du
cheptel bovin, 79% du cheptel ovin et 76 % du cheptel équin (Krafft) .
En Angleterre, le géographe John Grattan note une surmortalité de plus de 10.000 unités
en 1783.
En France, Les registres paroissiaux portent traces de l’éruption, évoquant une
surmortalité de l’ordre de 30 à 40% selon les régions, les plus touchées étant au nord et à l’est où le brouillard se fit sentir plus longtemps, alors qu’une large part méridionale fut moins
exposée sur la durée.
La période la plus mortifère correspond à la présence du brouillard (entre le 15 juillet
et le 20 septembre en France).
Surmortalité de l'été 1783 pour certaines villes Françaises suite à
l'éruption du Laki - doc. Unicaen.fr
Le second effet Laki : le refroidissement du climat.
Passée la catastrophe estivale, une rémission est accordée en automne.
Suite à l’effet de dispersion du rayonnement solaire engendré par la présence des
aérosols sulfatés dans l’atmosphère, une réduction de l’énergie solaire atteignant le sol s’est produite, ainsi qu’une perturbation des relations entre les températures des basses couches et des
couches supérieures … ceci débouche sur un hiver très sévère en 1784, tant pour l’Europe que pour l’Amérique du Nord.
L'hiver qui suivit fut particulièrement rude … Gilbert White de Selborne rapporta 28 jours de gel continu. On estime
que l'hiver extrême causa 8.000 décès supplémentaires au Royaume-Uni. Au printemps, l'Allemagne et l'Europe centrale connurent d'importantes inondations en février 1874 ... on parle de
"tsunami fluvial " touchant tous les grands fleuves européens.
La force et la densité de ce nuage de gaz volcanique a donc totalement déréglé le climat durant l’année 1783-1784 et va
également avoir un impact sur les cinq années suivantes qui verront s’alterner sécheresse et grand froid provocant disette et famine pour les populations européennes.
Dates d'observations du nuage du Laki en 1783 - et des villes touchées par les inondations en hiver 1784 - doc.
Emmanuël Garnier / Le Laki, une catastrophe eruropéenne. - Dans La Recherche.
Sources :
- LAVE Thématique n° 1, 1993, Les volcans,
le climat et la révolution française par Roland Rabartin et Philippe Rocher. - link
- Atmospheric and environmental effects of the 1783–1784 Laki
eruption: A review and reassessment - by Thorvaldur Thordarson and Stephen Self
- Volcanic air pollution and mortality in France 1783–1784 / Pollution atmosphérique volcanique et
mortalité en France de 1783–1784 - par John Grattan, Roland Rabartin, Stephen Self, et Thorvaldur Thordarson.
- La Recherche - Le Laki, une catastrophe Européenne – par Emmanuël Garnier
- Histclime / Univ.Caen - les brouillards d'Islande, évènements extrêmes et mortalités - link
- Guide des volcans d'Europe - M. Krafft et de Larouzière.
- Volcanism - by H-U Schmincke - éd. Springer